Naissance à Paris en 1915, en pleine guerre.
Une formation à l’Ecole d’arts appliqués, puis la section peinture des Beaux- Arts. La découverte des sculptures de Julio González et, surtout, des toiles de Picasso.
Un passage dans l’atelier de Cassandre, dans celui de Le Corbusier ; des décors de théâtre et de cinéma, de la réclame, des scénographies muséales. Des amitiés artistiques avec Lucien Fontanarosa, Max Ernst, Yves Brayer, Claude Venard.
Une expérience humaine dévastatrice : la déportation pour faits de résistance, les camps, la mort côtoyée de près.
Une vie retirée, passée à peindre, dans le Sud de la France, sur le littoral à Bormes-les-Mimosas ou à Curel, dans les Alpes-de-Haute-Provence.
Quelques lignes marquantes suffisent souvent à ébaucher la figure d’un artiste. L’année de sa naissance, les dessous de sa formation, ses influences ou ses amitiés artistiques, un fait notable de sa vie d’homme, nous laissent l’entrevoir. Nous croyons le connaitre déjà.
Dans l’atelier, Pescadère peint, debout, tout à sa tâche. Nous l’observons dans la fraicheur matinale. Un fin rideau que l’air marin froisse doucement nous sépare de lui. Face au chevalet, ce sont les mêmes gestes, ou presque, recommencés depuis des siècles.
Et pourtant, c’est une flamme toujours nouvelle qui jaillit.
Notre brise matinale écarte un peu plus le rideau et nous sommes surpris, émus en apercevant sur la toile le visage d’une inconnue, une chambre, un chemin dans la futaie, une insolite construction.
L’inventaire, sec et cassant comme la branche en hiver, n’en porte pas davantage la sève. De cette frise étriquée où les années se compilent, rien ne laisse présager l’éclosion de cet univers. L’image du peintre se dérobe dans le mystère de la création.
De l’artiste, il y a surtout ce qu’on n’a pas dit : parce qu’on est tenté de résumer une trajectoire par la logique, ou parce qu’on ne saura jamais ; ou bien parce que c’est indicible.
On n’a pas dit, par exemple, que Pescadère, tout juste délivré des camps, où il a durement lutté pour survivre et vu de ses yeux tant d’hommes tomber, victimes de la cruauté d’autres hommes, que Pescadère, dans son pyjama rayé, pensait déjà à la réconciliation avec l’Allemagne.
Seul rescapé des vingt-et-un camarades de son réseau de résistance « Corvette », « le Georges » racontera tout, quarante-quatre ans plus tard, dans un livre épais, à l’écriture brute.
Il n’aura pas oublié un seul instant de la torture, pas un détail, depuis son arrestation, la longue déportation en train, les prisonniers entassés dans les wagons à bestiaux pendant plusieurs jours, dans les excréments communs, à côtoyer les premiers morts. Et si ce n’était pas encore l’enfer, il leur apparaitrait bientôt, au terme des longues marches, et se nommait Dora ou Bergen-Belsen.
On y fusillait proprement des hommes nus qui s’écroulaient dans la boue dans un froid glacial. Son témoignage pour que les générations n’oublient pas que cela fût, combien porter dans sa chair un matricule équivalait à une condamnation à vie, condamnation au souvenir indélébile de la cruauté humaine dans son plus terrible appareil.
Réalisant un peu plus tard l’affiche de l’Union Nationale des Associations de Déportés, Internés et Familles de Disparus, Pescadère signe ainsi son travail : 77023-Dora-G.H.Pescadère.
Le matricule fera désormais partie de son identité, jusqu’au soir de sa vie. Il choisira d’en faire le titre de son ouvrage.
Pourtant, dès sa libération, Pescadère ne souhaite rien tant que la réconcilia- tion avec l’Allemagne, dont il désire être l’artisan. Avec l’un de ses frères d’infortune, il crée l’association « Bourg Blanc » dans cette optique. Cette initiative ne rencontrera pas l’écho attendu : c’est qu’il est encore un peu tôt.
On n’a pas dit non plus que Pescadère aimait les oiseaux, qu’il en avait domestiqué certains qui vivaient à ses côtés, ou qu’il détestait les mondanités, qu’il se maria à Anne Wemaëre et qu’ils eurent ensemble deux garçons, Marc et Roch, qu’il s’investit dans la vie locale de sa cité d’adoption au point de créer une association de Sauvegarde du Vieux Bormes et qu’il fut conservateur du musée municipal d'« Arts et Histoire » pendant plus de dix ans.
Il fuyait cependant la ville en été, lui préférant la tranquillité de sa maison des Hautes-Alpes, baptisée Savacane.
Après la guerre, Pescadère avait fondé la société anonyme « Alliance d’arts graphiques ». Il gagnait sa vie comme graphiste et publicitaire, métier qu’il exerça jusque dans les années 1970. Il avait coutume de répéter qu’il ne peignait pas pour vivre mais vivait pour peindre.
On ne saura jamais vraiment pourquoi, alors que la peinture était toute sa vie, Pescadère a presque toujours refusé de montrer son travail.
Du vivant de l’artiste, une exposition, organisée en 1985 à Hyères, sous la pres- sion de ses amis, connaît un beau succès mais ne l’incite pas pour autant à accepter d’autres initiatives semblables. Sa peinture est escamotée, dissimulée dans l’antre de l’atelier, dont elle ne franchit pas les portes. Elle reste soustraite même à sa famille. Pourtant, Pescadère peint chaque jour.
Les oeuvres qui nous sont parvenues ne sont, pour la plupart d’entre elles, pas signées en toutes lettres sur la face, à la manière classique des peintres qui marquent ainsi l’achèvement d’un travail prêt à rencontrer le marché.
Elles sont en revanche annotées au dos : une signature abrégée, parfois une indication du lieu de réalisation, Savacane ou Bormes le plus souvent. Rarement y figure un titre.
Presque systématiquement, une ou plusieurs dates y sont inscrites, au jour près, marquant avec certitude la période de création de la peinture. Cette pratique continue nous permet d’esquisser une évolution, depuis les rues parisiennes nocturnes et désertes des années 1950 où affleure une étrange solitude, comparable à celle qui nous étreint face aux tableaux d’Utrillo ou d’Edward Hopper, jusqu’aux lumineux paysages et natures mortes méditerranéens, en passant par certaines expérimentations formelles des années 60-70, qui empruntent au répertoire d’une abstraction géométrique.
Telle est la physionomie de la production d’un artiste qui n’a jamais conduit sa pratique au regard de visées commerciales et qui, pour seule boussole, a laissé parler son instinct de peintre.
